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On sait bien, vous, les jeunes...

J'ai mal à ma jeunesse. Vingt-huit ans et peut-être plus toutes mes dents, mais encore le fol espoir de voir les choses changer, et même changer pour le mieux, avec un peu de chance. Dur à croire que cela fait déjà 10 ans que j'entrais à l'université au baccalauréat en communication et politique, désireux d'embrasser ensuite la profession journalistique.




Il faudra finalement un baccalauréat, mais aussi un certificat en journalisme avant d'obtenir assez d'assurance pour tenter le grand saut dans le vide. À l'époque, on nous disait que la crise finirait bien par prendre fin, que le web allait enfin révolutionner l'information, et que les revenus publicitaires cesseraient de chuter, d'autant plus que les jeunes sauraient faire leur place au sein des organisations médiatiques, histoire d'enclencher cette transformation en profondeur tant attendue.

Ce à quoi nous avons plus droit, c'est aux éloges d'Émilie Dubreuil, journaliste à Radio-Canada, que l'on présentait récemment comme faisant partie de la "relève". Mme Dubreuil est certainement une journaliste talentueuse, mais, à bientôt 40 ans, le qualificatif de "relève" est soit insultant, soit ironique. Tel semble pourtant être le triste état des choses, dans un milieu professionnel où tous, y compris les jeunes (et souvent, surtout les jeunes) doivent toujours en faire plus avec moins.

Désormais, on vous offre une plateforme médiatique (ou culturelle, les exemples n'y manquent pas non plus) en échange d'un travail, sans toutefois toujours vouloir vous payer. On soutiendra que la "visibilité" offerte par le grand sacrifice consistant à vous publier est suffisante pour faire office de salaire. Au diable le paiement de vos factures, de votre loyer... au diable votre impression de vous accomplir sur le plan professionnel, le bénévolat a plus que jamais la cote en journalisme. Peut-être pire encore, on vous offre parfois un remplacement d'au moins un mois (garanti!) dans deux hebdos, à condition que vous vous débrouilliez pour fournir votre véhicule. Vous n'avez pas d'auto? Tant pis pour vous, la compagnie ne fait pas crédit.

Dans le même registre, les offres de pige tournent parfois à la quasi-exploitation, avec une autre offre, tout aussi sérieuse, qui parlait d'un cachet d'une centaine de dollars pour un texte de deux à trois feuillets, en plus de photos. Quand on en est rendus à pratiquement payer pour travailler, c'est que la situation professionnelle des journalistes québécois n'est certainement pas belle à voir.

En cette époque d'austérité rigoureuse - ou de rigueur austère, allez savoir -, les jeunes sont les premiers à écoper. On coupe pour assurer notre avenir, avance-t-on. Ou peut-être celui de nos enfants. On sabre dans les budgets de fonctionnement des journaux, stations de radio et autres chaînes de télé, mettant toujours plus de jeunes reporters et journalistes à pied, tandis que des vieux de la vieille traînent des salaires mirobolants en attendant de prendre leur retraite ou de sortir de la salle de nouvelles les pieds devant.

Au sein d'un État social-démocrate, où le bien-être de la société est censé représenter un point d'ancrage d'une bonne partie des mesures adoptées par le gouvernement, cet effritement de la situation des jeunes au sein des médias - et ailleurs! - ne devrait tout simplement pas exister. Après tout, ne sommes-nous pas censés être l'avenir, le futur de la nation, le réceptacle de tous les espoirs de croissance, de développement et de grandeur? Au lieu de cela, on ampute les programmes sociaux, on coupe dans l'éducation, dans la recherche, dans la santé, le tout au nom du sacro-saint équilibre fiscal, allant chercher dans nos poches déjà vides ce que l'on refuse de récupérer dans celles qui ont toujours été pleines.

Ce grand mouvement amorcé depuis déjà plusieurs années continue de faire des ravages chez un groupe de personnes en particulier: les jeunes. Ceux qui souffrent déjà davantage du chômage que leurs parents ou leurs grands-parents. Ceux qui n'ont pas vraiment d'espoir d'épargner suffisamment pour acheter une propriété ou, Dieu nous en préserve, prendre une retraite à 65 ans. Ceux qui, désemparés dans un monde qui part à vau-l'eau, ne savent plus dans quel domaine étudier pour être certains de pouvoir, peut-être, se trouver un emploi. Ou au moins un stage (non rémunéré, bien sûr), en alternance avec un boulot alimentaire.

Ce cri du coeur des jeunes, le YouTubeur Usul en fait état dans une capsule prosaïquement intitulée Les jeunes, et qui s'insère dans sa série politico-philosophique Mes chers contemporains:


Et que font ces jeunes, qui sont de plus en plus apolitiques? Ils s'informent différemment, d'abord, mais, surtout, ils s'informent moins. Petit moment hallucinatoire, la semaine dernière, lorsqu'un article paru sur Infopresse indiquait aux publicitaires qu'il fallait se rendre sur Snapchat, ce logiciel qui permet d'envoyer des photos ou des vidéos qui ne s'afficheront que pour une durée très limitée.


Déjà, le très sérieux Guardian nous vantait, en 2014, les bienfaits de l'application Vine (création de vidéos de six secondes maximum) dans un environnement journalistique. Il est peu surprenant, dans cet univers d'instantanéité et de multitude, que les médias traditionnels, qui nécessitent normalement une certaine dose de concentration pour parvenir à la compréhension d'un sujet, soient en perte de vitesse.

Et donc, avec des jeunes qui ne votent pas parce qu'ils ne s'informent pas, ou qui ne s'informent pas parce que, de toute façon, ils ne votent pas, l'État peut continuer de se manger la queue, jusqu'à ce que la tête y passe aussi. On a alors droit à cette parade de la vieille génération qui, hébétée ou persuadée qu'après elle, le déluge, marche d'un pas lent vers la mort. Certains s'en tirent mieux que d'autres: ce sont ceux qui ont le plus gagné de ce massacre lent des perspectives d'avenir, ceux qui s'en sont mis plein les poches, et ceux dont les enfants ont déjà un avenir assuré, la plupart du temps en empruntant le même parcours que papa ou maman.

Et le journalisme, dans tout ça? On nous parle de régimes de retraite déficitaires pour justifier les gels d'embauche et les compressions, on offre des postes de surnuméraires, des boulots à temps partiel, du travail sur appel. Le gouvernement pourrait intervenir pour ralentir la chute, ou tenter de développer des solutions supplémentaires. On accepte plutôt que la cavalcade vers une concentration toujours plus poussée se poursuivre, parlant de "transaction d'affaires normale" lorsqu'un empire de presse vend des journaux pour une bouchée de pain, histoire de se débarrasser des "régionaux" empêcheurs de numériser en rond.

Pourquoi les gouvernements feraient-ils autrement, de toute façon? L'un brandit le spectre du terrorisme pour faire accepter les bases d'un État policier qui viserait à faire taire les contestataires, l'autre est bien trop occupé à couper les soins offerts aux plus démunis ou aux "marginaux". De toute façon, les maudits médias, avec leur manie de dire la vérité et d'exposer les faits, ne servent qu'à mettre en péril la réélection, non?

Comment se désembourber, comment sortir de cette langueur misérabiliste? Je l'ignore. Mais à force de se dire qu'il faut faire des sacrifices pour l'avenir, c'est l'avenir lui-même qui va prendre le bord. 

Plutôt que de détruire, peut-être serait-il temps de créer. Et cela vaut certainement pour les coupes à blanc dans les forces vives journalistiques.

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