Et c'est reparti pour un tour.
C'est reparti pour cette grand-messe de dénigrement de la profession de journaliste, surtout chez les médias papier, alors que les reporters sont constamment présentés comme des représentants d'une espèce menacée, aussi vieux que les dinosaures et aussi dépassés que la chaîne Blockbuster.
Aujourd'hui, c'est le pénultième site d'affichage d'offres d'emploi CareerCast qui stipule, "enquête" à l'appui, que la profession de journaliste écrit est la "pire profession" de 2015, en raison des faibles perspectives d'emploi, de la fuite des revenus dans l'industrie et du salaire qui est grignoté petit à petit. Selon le site web, reporter est ainsi un domaine d'emploi dont les débouchés sont pires que ceux des bûcherons, des gardiens de prison, des photoreporters... et même des soldats.
Comme prévu, mes collègues se sont empressés de commenter et de partager le lien à tout vent sur Facebook et Twitter, profitant de l'occasion pour déplorer ce glissement toujours plus marqué vers le fond du baril, autant en termes d'employabilité que de crédibilité auprès de la population en général.
D'autres, comme Mathieu Charlebois, ont dénoncé cet autoapitoiement aux allures de purgatoire auto-infligé. Avions-nous réellement besoin d'un classement pseudoscientifique pour nous rappeler que la profession se porte mal? Mais la question qu'il faut sans doute se poser - même si je connais déjà la réponse - est plutôt: allons-nous faire quelque chose pour changer cette situation?
Il ne faut pas oublier non plus, comme l'indique Russell Smith, dans une excellente chronique publiée dans le Globe and Mail, que CareerCast n'est pas Statistiques Canada, mais plutôt l'équivalent de JobBoom, Monster, Isarta, InfopresseJobs, Le Grenier aux emplois, et j'en passe. C'est un endroit où l'on peut trouver un emploi et obtenir des conseils pour améliorer la présentation de son curriculum vitae pour mieux séduire les employeurs. Puisque ces derniers paient pour afficher leurs emplois disponibles, et que les médias n'engagent pas beaucoup par les temps (les décennies, plutôt) qui courent, faut-il s'étonner que la profession de journaliste soit mal évaluée?
Est-ce que la profession de journaliste se porte bien? Certainement pas. Peut-on toutefois cesser de se plaindre à qui veut bien l'entendre en restant assis sur notre cul collectif? Si je suis entré en journalisme, c'est parce que j'aimais écrire et que j'avais envie de mieux comprendre comment les choses fonctionnent pour mieux l'expliquer aux autres. Je suis journaliste parce que chaque journée est différente, parce que les sujets se suivent et ne se ressemblent pas; certainement pas parce que j'avais envie d'un boulot bien pépère, dans un cubicule de 9 à 17 heures, avec piscine hors terre, deux enfants, un chien et des soirées tranquilles à regarder des émissions insipides à la télévision.
Oui, il est difficile de trouver du boulot en journalisme par les temps qui courent, et surtout un boulot avec de bonnes conditions de travail. La compétition est féroce. Mais le travail qui me passionne serait-il réellement le pire emploi que je pourrais occuper parmi une liste de 200 professions? Pire que soldat, vraiment, ou gardien de prison? Pire que relationniste média, ou même actuaire?
Ce que le classement de CareerCast avance, c'est que les boulots dans l'industrie des services, et surtout des services financiers, sont plus productifs, plus désirables pour la société que ceux qui s'échinent à traquer la vérité et à exposer les faits qui dérangent. Pourtant, dans Daredevil, la nouvelle série diffusée par Netflix, les avocats Nelson et Murdock ne font pas équipe avec un actuaire pour tenter de faire tomber l'infâme Wilson Fisk. Ils vont chercher Ben Urich, un journaliste de la vieille école, un de ceux qui ont la couenne dure, et qui ne s'en laissent pas imposer.
Les actuaires sont nécessaires, bien sûr. Tout comme les ingénieurs, les hygiénistes dentaires, les responsables des ressources humaines ou encore les optométristes. Mais les journalistes sont eux aussi essentiels au fonctionnement de la société, plutôt que d'être décrits comme des lépreux agonisants. Soyons fiers de ce que nous sommes, et de ce que nous accomplissons. Et, de grâce, cessons de nous lamenter pour plutôt nous botter le derrière. Il n'en tient qu'à nous de corriger la situation.
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