Alors que la situation ne semble pas s'améliorer dans le domaine de la presse écrite au Québec (ni ailleurs, à bien y penser), et que l'optimisme semble avoir pris du plomb dans l'aile, tandis que le gouvernement Couillard fête son premier anniversaire, j'ai décidé de me remuer un peu plus les méninges et de vous faire part de quelques pistes de réflexion concernant l'avenir des médias.
Voici donc, en plusieurs parties, le résultat de cette cogitation, de cette agitation des neurones. Les solutions présentées ici ne sont sûrement pas toutes pratiques, ni même réalisables, même si j'ai tenté, la majorité du temps, de demeurer réaliste et d'offrir des idées qui pourraient être accomplies sans transformer la province en une utopie journalistique ou en engageant trop avant les capacités financières de l'État ou de ses citoyens.
Comment sauver les journaux? Principales victimes de la crise des médias et de la migration des annonceurs vers le web, les journaux sont sans doute, parmi les médias traditionnels, ceux qui ont le plus à perdre - mais aussi à gagner - du passage vers le web. La dématérialisation des contenus entraîne en effet la disparition progressive de la structure des journaux telle qu'on la connaît. Le site Internet est ainsi en voie de supplanter la Une comme porte d'entrée du travail d'agrégation et de cueillette effectué par le chef de pupitre et le rédacteur en chef. Le hic, c'est que tout cela devient subitement beaucoup plus éphémère.
Fondamentalement, cependant, cette numérisation de l'information n'a pas que ses mauvais côtés, et pratiquement tous les journaux ayant un tant soit peu d'envergure l'ont compris en développant qui un site Internet minimalement solide, qui, même, des applications spécifiques dédiées aux appareils mobiles et aux tablettes.
À la base, il est possible de distinguer divers secteurs où les dépenses des journaux sont les plus importantes. Oui, les patrons auront toujours l'opportunité de couper dans la masse salariale, de mettre à pied les journalistes d'expérience pour engager des petits nouveaux, ou encore de sabrer dans les postes de correspondants à l'étranger et les tâches d'enquête. Tous ces domaines entraînent, par définition, un "retour sur investissement" moindre que si les journalistes sont maintenus dans leur cubicule à longueur de journée pour reprendre des dépêches d'agence ou rédiger des articles ne nécessitant pas beaucoup de recherches ou de démarches. Mais comme la perspective de la disparition progressive de ces articles qui démarquent les journaux et les journalistes les uns des autres est foncièrement déprimante - sorte de transformation de la scène médiatique provinciale en une grande étendue beige où tout-le-monde-il-est-beau-tout-le-monde-il-est-gentil, et donc un véritable paradis des relationnistes - me donne un début de mal de tête, penchons-nous plutôt sur les autres avenues envisageables.
Bien entendu, je n'affirme pas que quelques départs ne sont pas nécessaires; il faut bien laisser entrer les jeunes dans le métier, mais l'expérience peut tout à fait cohabiter avec la fougue. Un vieux de la vieille ne sera peut-être pas capable ou intéressé à tourner des images en marge de la rédaction de son article, mais son texte risque fort de n'en être que plus intéressant.
Adios, papier d'amour
L'autre domaine qui coûte cher est celui de l'impression et de la distribution. On aura beau rogner sur le nombre de pages, la taille de la police ou encore le format du journal, il n'en reste pas moins que la "fabrication" concrète d'un journal papier est un processus long et onéreux. La solution? Les gens de La Presse ont sans doute eu la bonne idée en annonçant la disparition, à moyen terme, de l'édition papier du quotidien de la rue Saint-Jacques, ou du moins une diminution draconienne du nombre d'exemplaires publiés chaque jour.
Pour cela, toutefois, il est nécessaire de remplacer le journal par autre chose, et cette autre chose n'a pas encore été totalement mise au point. Quid des tablettes, me demanderez-vous? Les tablettes demeurent des ordinateurs, toutes petites et portables puissent-elles être. Ce qui serait nécessaire, au lieu de devoir trimbaler un appareil autrement plus fragile qu'un journal papier, c'est un outil technologique rassemblant la légèreté et la solidité du papier et la polyvalence d'une tablette.
Je me permettrai, pour l'occasion, de reprendre un billet médiatique écrit à ce sujet en 2012 sur le site du Voir, où j'abordais le journal numérique à affichage changeant dans le film Minority Report où, dans la scène où Tom Cruise se cache dans le métro, la Une du journal d'un voyageur change en un instant pour afficher une nouvelle sortie quelques instants plus tôt.
Déjà, il y a trois ans, LG travaillait sur un prototype de papier électronique, d'une taille plus importante que celle des tablettes, et qui permettrait d'afficher le contenu équivalent de celui des journaux sans avoir besoin de raser des forêts ou de transformer des dinosaures morts en plastique entrant dans la composition du iPad.
Aucune trace de ce papier numérique d'avenir, pour l'instant, mais si l'on ajoute des points de distribution numérique pour les journaux, il ne fait nul doute que l'idée gagnera en popularité.
Show me the money!
Bonne initiative que cette dématérialisation à La Presse, donc, en passant à La Presse+, mais l'obstination d'offrir du contenu gratuit en échange de l'affichage de publicités démontre à quel point les dirigeants semblent hésiter à l'idée de réclamer quelque pitance monétaire que ce soit aux lecteurs. Après tout, il est encore possible de se payer "la grosse Presse" du samedi pour quelques dollars seulement, et il est vrai que les internautes rechignent à délier les cordons de leur bourse, échaudés qu'ils sont après près de 20 ans de gratuité en ligne.
La pierre d'achoppement dans la stratégie de La Presse est toutefois la suivante: s'il est possible de partager une bonne partie du contenu de cette Presse+ sur Facebook et sur Twitter, où le quidam moyen sans tablette peut aussi le consulter; s'il est encore possible de s'informer gratuitement sur le site Internet de La Presse, sans avoir besoin de se procurer une tablette; et s'il est surtout possible d'avoir droit à des mises à jour continues sur ce même site web, alors que la version tablette n'est modifiée que sur une base quotidienne, pourquoi, bon sang, irais-je débourser plusieurs centaines de dollars pour aller chercher l'application La Presse+? Et pourquoi ne puis-je pas avoir accès à ce contenu en ligne, via un site Internet en HTML5 qui permette d'afficher les publicités de la même manière que sur iOS ou Android? J'ai déjà un ordinateur, un portable et un téléphone intelligent. Je dispose de Twitter, de Facebook et de dizaines de sites Internet pour m'informer. Dans ce contexte, l'obligation de disposer d'une tablette pour apprécier La Presse+ paraît non seulement redondante, mais aussi coûteuse qu'inutile. Pour rentabiliser le tout, il faudra se décider: ou bien l'on alimente plus souvent la version tablette du journal, ou bien l'on impose un mur payant sur le site web. Sinon, c'est l'impasse assurée.
Du côté du Devoir, la situation est plus délicate. Le quotidien de la rue Bleury dispose désormais d'une version tablette, et le site Internet est sous le coup d'un mur payant depuis les tout débuts. En raison de la petitesse de son public, toutefois, Le Devoir est dans le rouge. Il y a quelques jours, on apprenait avec surprise la création d'une campagne de sociofinancement, intégrée à l'association des Amis du Devoir, une organisation qui existe depuis plus d'un siècle.
Peut-être que cette multiplicité des modèles sera ce qui sauvera les journaux, en fin de compte. Le New York Times est en voie de réussir la mise en place de son mur payant, et dispose même d'un lectorat numérique plus important que son lectorat papier. Mais Montréal, Québec ou encore Toronto ne sont pas la Grosse Pomme, et les bassins de populations sont peut-être trop petits pour subvenir adéquatement aux besoins des diverses publications sur la base d'un abonnement traditionnel. Faut-il alors faire payer les articles à la pièce, comme envisage de le faire le Winnipeg Free Press? Ou faut-il carrément abandonner le papier pour devenir un pure player en ligne, à l'image de Médiapart, qui a réussi le pari d'offrir du contenu de fond en échange d'un abonnement, le tout sans s'appuyer sur une structure papier traditionnelle?
Le moment est sans doute idéal pour procéder à des expériences. C'est le bordel, j'en conviens, mais comme il n'existera sans doute pas de solution miracle, les propriétaires de journaux doivent tenter de se réinventer, le tout afin d'éviter que les employés ne voient leurs conditions de travail se détériorer. Car c'est là que tout se conjugue pour former un maelström médiatique: les travailleurs du monde de l'information doivent recevoir un salaire conséquent, tout comme le plombier, le bibliothécaire ou l'acteur. Tout travail mérite salaire, et ce respect passe par la revalorisation de l'information. On n'y échappera pas, et nos portefeuilles non plus.
***
La semaine prochaine, du haut de mon siège de co-vénérable du sommet, je vous parlerai de la télévision et de la radio. Entre deux réclames pour Olympe, la lessive des dieux.
Voici donc, en plusieurs parties, le résultat de cette cogitation, de cette agitation des neurones. Les solutions présentées ici ne sont sûrement pas toutes pratiques, ni même réalisables, même si j'ai tenté, la majorité du temps, de demeurer réaliste et d'offrir des idées qui pourraient être accomplies sans transformer la province en une utopie journalistique ou en engageant trop avant les capacités financières de l'État ou de ses citoyens.
Comment sauver les journaux? Principales victimes de la crise des médias et de la migration des annonceurs vers le web, les journaux sont sans doute, parmi les médias traditionnels, ceux qui ont le plus à perdre - mais aussi à gagner - du passage vers le web. La dématérialisation des contenus entraîne en effet la disparition progressive de la structure des journaux telle qu'on la connaît. Le site Internet est ainsi en voie de supplanter la Une comme porte d'entrée du travail d'agrégation et de cueillette effectué par le chef de pupitre et le rédacteur en chef. Le hic, c'est que tout cela devient subitement beaucoup plus éphémère.
Fondamentalement, cependant, cette numérisation de l'information n'a pas que ses mauvais côtés, et pratiquement tous les journaux ayant un tant soit peu d'envergure l'ont compris en développant qui un site Internet minimalement solide, qui, même, des applications spécifiques dédiées aux appareils mobiles et aux tablettes.
À la base, il est possible de distinguer divers secteurs où les dépenses des journaux sont les plus importantes. Oui, les patrons auront toujours l'opportunité de couper dans la masse salariale, de mettre à pied les journalistes d'expérience pour engager des petits nouveaux, ou encore de sabrer dans les postes de correspondants à l'étranger et les tâches d'enquête. Tous ces domaines entraînent, par définition, un "retour sur investissement" moindre que si les journalistes sont maintenus dans leur cubicule à longueur de journée pour reprendre des dépêches d'agence ou rédiger des articles ne nécessitant pas beaucoup de recherches ou de démarches. Mais comme la perspective de la disparition progressive de ces articles qui démarquent les journaux et les journalistes les uns des autres est foncièrement déprimante - sorte de transformation de la scène médiatique provinciale en une grande étendue beige où tout-le-monde-il-est-beau-tout-le-monde-il-est-gentil, et donc un véritable paradis des relationnistes - me donne un début de mal de tête, penchons-nous plutôt sur les autres avenues envisageables.
Bien entendu, je n'affirme pas que quelques départs ne sont pas nécessaires; il faut bien laisser entrer les jeunes dans le métier, mais l'expérience peut tout à fait cohabiter avec la fougue. Un vieux de la vieille ne sera peut-être pas capable ou intéressé à tourner des images en marge de la rédaction de son article, mais son texte risque fort de n'en être que plus intéressant.
Adios, papier d'amour
L'autre domaine qui coûte cher est celui de l'impression et de la distribution. On aura beau rogner sur le nombre de pages, la taille de la police ou encore le format du journal, il n'en reste pas moins que la "fabrication" concrète d'un journal papier est un processus long et onéreux. La solution? Les gens de La Presse ont sans doute eu la bonne idée en annonçant la disparition, à moyen terme, de l'édition papier du quotidien de la rue Saint-Jacques, ou du moins une diminution draconienne du nombre d'exemplaires publiés chaque jour.
Pour cela, toutefois, il est nécessaire de remplacer le journal par autre chose, et cette autre chose n'a pas encore été totalement mise au point. Quid des tablettes, me demanderez-vous? Les tablettes demeurent des ordinateurs, toutes petites et portables puissent-elles être. Ce qui serait nécessaire, au lieu de devoir trimbaler un appareil autrement plus fragile qu'un journal papier, c'est un outil technologique rassemblant la légèreté et la solidité du papier et la polyvalence d'une tablette.
Je me permettrai, pour l'occasion, de reprendre un billet médiatique écrit à ce sujet en 2012 sur le site du Voir, où j'abordais le journal numérique à affichage changeant dans le film Minority Report où, dans la scène où Tom Cruise se cache dans le métro, la Une du journal d'un voyageur change en un instant pour afficher une nouvelle sortie quelques instants plus tôt.
Déjà, il y a trois ans, LG travaillait sur un prototype de papier électronique, d'une taille plus importante que celle des tablettes, et qui permettrait d'afficher le contenu équivalent de celui des journaux sans avoir besoin de raser des forêts ou de transformer des dinosaures morts en plastique entrant dans la composition du iPad.
Aucune trace de ce papier numérique d'avenir, pour l'instant, mais si l'on ajoute des points de distribution numérique pour les journaux, il ne fait nul doute que l'idée gagnera en popularité.
Show me the money!
Bonne initiative que cette dématérialisation à La Presse, donc, en passant à La Presse+, mais l'obstination d'offrir du contenu gratuit en échange de l'affichage de publicités démontre à quel point les dirigeants semblent hésiter à l'idée de réclamer quelque pitance monétaire que ce soit aux lecteurs. Après tout, il est encore possible de se payer "la grosse Presse" du samedi pour quelques dollars seulement, et il est vrai que les internautes rechignent à délier les cordons de leur bourse, échaudés qu'ils sont après près de 20 ans de gratuité en ligne.
La pierre d'achoppement dans la stratégie de La Presse est toutefois la suivante: s'il est possible de partager une bonne partie du contenu de cette Presse+ sur Facebook et sur Twitter, où le quidam moyen sans tablette peut aussi le consulter; s'il est encore possible de s'informer gratuitement sur le site Internet de La Presse, sans avoir besoin de se procurer une tablette; et s'il est surtout possible d'avoir droit à des mises à jour continues sur ce même site web, alors que la version tablette n'est modifiée que sur une base quotidienne, pourquoi, bon sang, irais-je débourser plusieurs centaines de dollars pour aller chercher l'application La Presse+? Et pourquoi ne puis-je pas avoir accès à ce contenu en ligne, via un site Internet en HTML5 qui permette d'afficher les publicités de la même manière que sur iOS ou Android? J'ai déjà un ordinateur, un portable et un téléphone intelligent. Je dispose de Twitter, de Facebook et de dizaines de sites Internet pour m'informer. Dans ce contexte, l'obligation de disposer d'une tablette pour apprécier La Presse+ paraît non seulement redondante, mais aussi coûteuse qu'inutile. Pour rentabiliser le tout, il faudra se décider: ou bien l'on alimente plus souvent la version tablette du journal, ou bien l'on impose un mur payant sur le site web. Sinon, c'est l'impasse assurée.
Du côté du Devoir, la situation est plus délicate. Le quotidien de la rue Bleury dispose désormais d'une version tablette, et le site Internet est sous le coup d'un mur payant depuis les tout débuts. En raison de la petitesse de son public, toutefois, Le Devoir est dans le rouge. Il y a quelques jours, on apprenait avec surprise la création d'une campagne de sociofinancement, intégrée à l'association des Amis du Devoir, une organisation qui existe depuis plus d'un siècle.
Peut-être que cette multiplicité des modèles sera ce qui sauvera les journaux, en fin de compte. Le New York Times est en voie de réussir la mise en place de son mur payant, et dispose même d'un lectorat numérique plus important que son lectorat papier. Mais Montréal, Québec ou encore Toronto ne sont pas la Grosse Pomme, et les bassins de populations sont peut-être trop petits pour subvenir adéquatement aux besoins des diverses publications sur la base d'un abonnement traditionnel. Faut-il alors faire payer les articles à la pièce, comme envisage de le faire le Winnipeg Free Press? Ou faut-il carrément abandonner le papier pour devenir un pure player en ligne, à l'image de Médiapart, qui a réussi le pari d'offrir du contenu de fond en échange d'un abonnement, le tout sans s'appuyer sur une structure papier traditionnelle?
Le moment est sans doute idéal pour procéder à des expériences. C'est le bordel, j'en conviens, mais comme il n'existera sans doute pas de solution miracle, les propriétaires de journaux doivent tenter de se réinventer, le tout afin d'éviter que les employés ne voient leurs conditions de travail se détériorer. Car c'est là que tout se conjugue pour former un maelström médiatique: les travailleurs du monde de l'information doivent recevoir un salaire conséquent, tout comme le plombier, le bibliothécaire ou l'acteur. Tout travail mérite salaire, et ce respect passe par la revalorisation de l'information. On n'y échappera pas, et nos portefeuilles non plus.
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La semaine prochaine, du haut de mon siège de co-vénérable du sommet, je vous parlerai de la télévision et de la radio. Entre deux réclames pour Olympe, la lessive des dieux.
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