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Élections: le grand moment de solitude

Le journalisme a (trop) souvent le dos large: après tout, nous devons non seulement respecter les codes de conduite parfois sévères imposés par nos propres organisations, mais aussi nous astreindre aux attentes d'un public qui en veut toujours plus, et ce alors que les ressources consacrées à la recherche de faits et de la vérité (TM) se réduisent comme peau de chagrin.




Cela est encore plus vrai en contexte électoral, alors qu'on s'attend à ce que le "quatrième pouvoir" influence correctement la campagne en fonction des divers enjeux. Et avec 78 jours d'agonie perpétuelle - heu, de campagne électorale fédérale -, la tâche est imposante.

Pour se payer une bonne tranche de rigolade, il est donc nécessaire de lire des textes légers, écrits par des gens qui n'y connaissent probablement pas grand-chose. Prenez cette lettre ouverte publiée dans Le Devoir en date d'aujourd'hui, 1er septembre de l'an de grâce 2015. Intitulé Élections: la presse joue-t-elle adéquatement son rôle?, le texte écrit par M. Étienne Boudou-Laforce, blogueur de son état, est une charge à fond de train contre la couverture électorale effectuée par les grands médias.

"En effet, rien ne va plus quand des anecdotes et faits divers en viennent à faire la « nouvelle »… Pensons seulement à ce navrant article intitulé « Un “cell”, “un pénis” et “ben des chips” : le kit de survie nucléaire d’une bloquiste » ; quand une journaliste va demander, le plus sérieusement du monde, à une candidate : « On est au 27e jour de la campagne, qu’est-ce qui vous a surpris jusqu’à présent ? » ; quand le scandale Duffy ou le fait d’équilibrer ou non les futurs budgets deviennent des enjeux électoraux… ; quand les commentateurs traitent des stratégies des partis plutôt que de leurs idées. Et lorsqu’on ne dilue pas les enjeux réels, on en profite pour en imposer d’autres : réduire la campagne à un affrontement NPD-PCC, notamment", écrit M. Boudou-Laforce.

Celui-ci en profite aussi pour se proclamer champion des classes ouvrières et de la population opprimée par les classes dirigeantes: "Il est inquiétant de voir comment les médias traitent uniquement de « la course » sans jamais parler de qui peut bien orchestrer la fameuse course… Qui est propriétaire des « quatre chevaux » ? Quel serait le rôle des banquiers et des pétroliers par hasard ? Personne n’en parle, surtout pas les médias corporatistes."

Un bon petit "journaliste" conspirationniste, donc, qui a dû suivre un cours de philo au cégep, une fois, et garder Le Capital de Marx sur sa table de chevet. Avec, sans doute, un t-shirt de Che Guevara quelque part dans son garde-robe. 



Tout son texte garde le même registre: les médias sont contrôlés par de sombres puissances mystérieuses vouées au contrôle total des masses. Camarades, renversons la bourgeoisie et instaurons la dictature du prolétariat! Et notre ami le blogueur de suggérer l'apparition d'un "cinquième pouvoir", voué à "opposer une force civique citoyenne à la nouvelle coalition des dominants". On croirait entendre un mélange de Tea Party et de Québec solidaire, aussi improbable cela puisse-t-il être.

Bon, soyons un peu plus sérieux. Il est facile de lancer des accusations et de s'en prendre personnellement à M. Boudou-Laforce. Mais force est d'admettre que oui, la couverture électorale par les médias pourrait être meilleure. Ce n'est cependant pas la faute des médias en question, et si certains organes de presse démontrent un biais évident sur le plan éditorial (National Post, La Presse... en fait, même Le Devoir ne cache pas ses positions souverainistes!), il ne fait aucun doute que les journalistes assignés aux déplacements et événements électoraux sont en mesure de faire la différence entre les intérêts des propriétaires des médias et ceux de la population.

Le scandale Duffy, un sujet inutile en campagne électorale? Au contraire, il est essentiel de savoir si le premier ministre était au courant de cette fraude magistrale. L'affaire VirJiny Provost? L'occasion de rappeler que tout le monde est humain, même les politiciens. Les médias qui ne boycottent pas la tournée conservatrice? Ce serait un coup d'éclat sans précédent, mais, sans solidarité complète, le média ayant décidé de donner une leçon se retrouverait le bec à l'eau. Et puis, il en va de la mission des médias de rapporter l'information, alors ils rapportent. Même si cela leur coûte un bras.

M. Boudou-Laforce croit que les médias sociaux, les blogues, les journaux indépendants et les "plateformes citoyennes" prendront le relais des médias traditionnels et des poids lourds du journalisme. Où sont-ils, ces nouveaux médias? Quel blogueur voyage en ce moment dans l'une des caravanes électorales? À quand remonte le dernier scandale révélé par un Twitteur compulsif?

"Mais une question se posera toujours: est-ce vraiment suffisant pour faire contrepoids au système politico-médiatique?", écrit encore notre idéaliste en puissance. La réponse est simple: ces "nouveaux médias" ne seront jamais suffisants pour faire contrepoids à un système qui n'existe, de toute façon, que dans la tête des conspirationnistes de tout acabit. Vous voulez des médias intègres, qui rapportent efficacement les faits? Votez contre les formations politiques qui déclenchent des campagnes excessivement longues, histoire de dépenser plus d'argent sur le dos des contribuables. Votez contre les partis qui sabrent, année après année, le budget du diffuseur public. Votez contre les politiciens qui sont en guerre contre les médias, qui imposent un nombre fixe de questions, qui fuient la presse comme la peste, qui prennent les électeurs pour des cons, et qui croient qu'une série de capsules vidéo dégoulinantes de propagande quasi soviétique peut remplacer efficacement des journalistes travaillant à renforcer la démocratie et l'état de droit en faisant correctement leur travail.

Oh, et acceptez donc de payer pour un mur payant, de temps en temps. Cela aiderait aussi beaucoup.

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