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Le Front national, les médias et la violence ordinaire

J'ai longtemps hésité avant de choisir un sujet pour mon billet d'aujourd'hui. Non seulement parce que les sujets abondent, mais aussi parce que l'envie que j'avais de m'étendre sur la notion de liberté de presse, dans la foulée de la Journée internationale du même nom, se heurtait à un obstacle de taille.



Il ne faut pas se leurrer, si je suis très bon pour brandir mon poing dans la direction générale des diverses personnes méritant mon courroux, je suis ce qu'on peut appeler un journaliste militant de salon. Je n'ai pas couvert de conflit, je ne suis certainement pas au Népal, sur le terrain, en train de rendre compte de toute la misère du monde, pas plus que je ne pratique un journalisme de combat. J'ai couvert deux manifestations - et faillit me faire arrêter la deuxième fois, d'ailleurs -, et je m'en tiens habituellement aux sujets intéressants, mais tranquilles, ceux qui comportent un risque très faible pour ma personne.

De plus, tout le monde et son chien a eu l'occasion de s'exprimer sur la notion de liberté de presse, y compris en raillant les puissants, de fort belle façon d'ailleurs.

Ce qui m'a finalement poussé à prendre moi aussi la plume, ou plutôt le clavier, est cette édition du 4 mai du Petit Journal, une émission d'information française combinant parfois ton léger et reportages fouillés. Cette fois, c'est en se rendant au rassemblement du Front national, à l'occasion de la fête du 1er mai, qu'a eu lieu le choc. Au cours d'un segment absolument délirant, on apprend non seulement que le service d'ordre de ce parti d'extrême droite a menacé la direction d'un hôtel avoisinant du lieu du regroupement pour s'en prendre violemment aux Femen ayant lancé des cris de "Heil Le Pen", mais, également, que la haine envers les représentants de la presse semble être vivace au sein de la formation dirigée par Marine Le Pen.



Ayant vu leur accréditation média refusée à l'arrivée, une équipe du Petit Journal s'installe à côté de l'"enclos des VIP", à gauche de la tribune, où se trouve entre autres un eurodéputé et quelques députés français. Cet eurodéputé, visiblement agacé de se trouver sous l'oeil des caméras, s'empare d'un parapluie pour tenter d'attraper et de détruire la perche du micro de l'équipe de tournage. Il assène aussi plusieurs coups aux deux journalistes avant d'être interrompu par le service d'ordre du parti. Ces mêmes agents de sécurité vont ensuite raccompagner l'équipe de reporters vers le cordon de sécurité des CRS; c'est alors que plusieurs militants du parti attaquent violemment les journalistes, distribuant les coups de poing et faisant saigner du nez l'un des deux reporters.

Interrogés en entrevue par la suite, qui l'eurodéputé, qui Mme Le Pen excluent toute excuse, prétextant que les journalistes étaient là pour "espionner", en se servant d'une "perche de 15 mètres".

Pire encore, le Petit Journal n'est pas le seul média a s'être fait agresser: Le Nouvel Observateur rapporte mardi, sur son site web, que l'équipe de l'émission C à vous a aussi été attaquée par des militants du FN, et a reçu des insultes telles que "gauchistes", "collabos", et qu'on "aurait tous dû vous tuer".

L'exemple français, bien qu'extrême, n'en est qu'un parmi tant d'autres. Au Québec, on ne compte plus les journalistes bousculés ou violemment apostrophés, que ce soit par des manifestants à l'UQAM, par des policiers, ou parfois, par des élus. Inutile de rappeler cet instant incroyable où l'attaché de presse du ministre Sam Hamad, alors aux Transports, avait poussé le chroniqueur de La Presse Patrick Lagacé lors d'un point de presse.


Ces contacts physiques et ces agressions verbales ne sont que la manifestation concrète de multiples attaques minuscules contre la liberté de presse. Certes, nous vivons en démocratie, mais les gouvernements, les autorités ou même les citoyens considèrent encore et toujours les journalistes comme des empêcheurs de tourner en rond. Ce n'est pas pour rien que le gouvernement conservateur multiplie les coupes à blanc dans Radio-Canada, en plus d'affirmer, de la bouche du ministre de l'Immigration de l'époque, Jason Kenney, que la SRC "ment tout le temps".

Les gens désirant magouiller, mentir, frauder ou ayant de la graine de dictateur ont toujours eu une dent contre les représentants de la presse, dont le boulot consiste justement à donner une version objective des faits et à faire éclater les scandales au grand jour.

Voilà où se livre la bataille pour la liberté de la presse. Pas uniquement dans les geôles nord-coréennes ou dans la rue, en Égypte, mais dans les corridors ministériels, dans les salles du conseil d'innombrables municipalités, entre un reporter décidé et un employé chargé de retarder le plus longtemps possible le traitement d'une demande d'accès à l'information.

Je ne serai peut-être pas un grand journaliste de guerre, ni un héros du gonzo en réalisant un reportage sur des enfants soldats quelque part en Afrique, mais je peux certainement contribuer à transformer l'État québécois et canadien pour que celui-ci soit plus ouvert, plus transparent, et, surtout, plus honnête.

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