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L'adieu aux armes

La semaine dernière en aura été une de grands changements. Certains de ces changements, comme la fermeture du réseau d'information en continu Sun News Network, pourront être considérés par plusieurs comme une bonne nouvelle. D'autres estimeront plutôt que la profession journalistique est en deuil, et deux fois plutôt qu'une. Quoi qu'il en soit, une page a été tournée.




Sun News, donc. Après l'échec des discussions avec un possible acheteur, Québecor met la clé dans la porte et la diffusion a purement et simplement été interrompue au petit matin, vers la fin de la semaine dernière. La chaîne lancée en grande pompe par l'empire Péladeau aura vécu un peu plus de quatre ans, et est morte, exsangue, incapable de récolter suffisamment de revenus pour assurer sa survie. Ironiquement, d'ailleurs, Sun News Network aurait été en mesure de demeurer à l'antenne si le CRTC avait donné le feu vert pour qu'elle soit incluse dans le bouquet offert obligatoirement par tous les câblodistributeurs, ce qui lui aurait assuré des revenus, même en l'absence de téléspectateurs. Ce genre de soutien gouvernemental fait partie du "gouvernemaman" qui provoquait l'ire des grands noms de la station.

Malgré tout, est-ce une bonne chose que Sun News n'est plus? Si l'on parle de mettre fin aux tactiques médiatiques et au journalisme de bas étage ayant valu à la chaîne le sobriquet de "Fox News du Nord", oui, sa disparition ne fera de peine à personne, pas même au 0,1 pour cent de la population qui regardait ses émissions. Mais si l'on évoque plutôt les centaines de postes perdus dans un domaine déjà surchargé de gens se cherchant un nouvel emploi après des compressions découlant de la crise des médias ou du couperet conservateur tombé à répétition sur le cou de Radio-Canada, alors, oui, cette fermeture du Sun News Network est un coup dur porté à l'industrie.

Dans mon précédent billet, je soulignais que la disparition d'une voix dissonante, fut-elle à droite plutôt qu'à gauche du spectre médiatique, est une perte pour le monde médiatique, et pour cause: la "trois étoiles et demie-sation" fait des ravages à la télé comme dans le milieu culturel, ou encore en politique. Bien entendu, l'objectivité journalistique doit demeurer l'objectif primordial du travail d'un membre du "quatrième pouvoir", mais pourquoi ne pas épicer un peu la formule, au lieu de constamment nous servir du gruau fadasse?

La fin du Daily Show

Autre grande voix qui dérange, mais cette fois-ci chez nos voisins du Sud, Jon Stewart anime avec brio le Daily Show, sorte d'Infoman avec plus de budget, et ce depuis 17 ans. Si l'homme n'a pas spécifiquement précisé les raisons de son départ, il a laissé entendre, la semaine dernière, que le coeur y était un peu moins, et que le temps était sans doute venu de passer le flambeau. Son mélange d'information et d'humour, l'infotainment, a permis de mieux rejoindre les jeunes, qui sont habituellement blasés et déçus de la forme journalistique aux États-Unis, particulièrement en ce qui concerne les réseaux câblés.

Hésitant très rarement à livrer le fond de sa pensée sur divers sujets, Stewart a pris sous son aile une pléthore de comédiens qui ont eu l'occasion de monter leurs propres émissions. Le plus connu d'entre eux, Stephen Colbert, quittera lui aussi la barre du Colbert Report pour passer dans un marché un peu édulcoré, tandis que John Oliver, à la tête de Last Week Tonight, sur HBO, profite du fait que l'émission passe sur un réseau câblé pour s'en donner à coeur joie. À preuve l'extrait suivant:


Qu'arrivera-t-il avec le Daily Show? L'émission sera-t-elle la même sans Stewart? Ou est-il plutôt temps de passer à autre chose, alors que les successeurs ont essaimé un peu partout?

Adieu, David

Dernière nouvelle d'importance, enfin, pour ce billet: celle de la mort de David Carr, journaliste sortant de l'ordinaire et chroniqueur média au style plus que particulier. L'homme, bien connu au New York Times, surtout depuis la sortie du documentaire Page One portant sur le quotidien de la Grosse Pomme, est décédé des suites d'un cancer et de problèmes cardiaques. Dévasté par une dépendance aux drogues dures qui lui aura fait commettre les pires excès, Carr, désormais émacié, voûté, mais toujours vaillant et combatif, aura travaillé jusqu'à la fin, s'effondrant sur le plancher de la salle de nouvelles du Times avant que son décès ne soit constaté à l'hôpital, peu de temps après.

Bien entendu, personne ne recommandera de plonger dans l'enfer de la drogue pour se donner du caractère, mais le fait est que cette période difficile de sa vie lui aura donné la volonté de continuer et de transformer la profession journalistique, une chronique à la fois, pour en tirer ce qu'il y a de meilleur.

Il est le genre de vieux routier, de voix discordante qui abat un travail phénoménal, et qui donne un peu de couleur à un univers un peu trop gris, ces temps-ci. Au revoir, M. Carr. Vous nous manquez déjà.

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