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La critique, cruelle maîtresse

«Unimpressed Hugo is unimpressed.» L'expression, lancée par une amie sur les réseaux sociaux et ressortie depuis à de très nombreuses reprises, résume en quatre mots ce que je ressens malheureusement trop souvent lors d'événements culturels, ou en critiquant une oeuvre cinématographique, un livre, un film... Bref, lorsque je fais mon travail de journaliste culturel.



Déjà, j'entends venir les commentaires disant que les critiques ne sont jamais contents, qu'ils prennent plaisir à casser de l'artiste, et qu'ils font carrément preuve de snobisme ou de pédanterie en dénigrant des spectacles pourtant bien souvent fort appréciés du public. En gros, une bonne partie des commentaires péjoratifs recensés par l'écrivaine Catherine Voyer-Léger dans son excellent essai Métier: critique.

Mais là où Voyer-Léger parle de la «trois-étoiles-et-demie-sation» de la critique en affirmant que toutes les oeuvres, ou presque, sont suffisamment bonnes pour mériter cette cote respectable, je pense bien que j'inverse le processus de réflexion: si un spectacle se mérite une critique tout au plus correcte, c'est parce que les défauts sont suffisamment nombreux pour que l'ensemble ait perdu des plumes, et non pas parce que les avantages sont en nombre nécessaire.

Attaquons le problème d'un autre angle. Est-il essentiel de se montrer plus critiques qu'à l'habitude lorsqu'il est question d'évaluer les mérites d'une oeuvre à des fins journalistiques? Certainement: si l'objectif est d'offrir un point de vue équilibré au public, pour que celui-ci puisse faire un choix éclairé et ensuite entraîner la production de contenus culturels mieux structurés et «meilleurs», au final, alors le journaliste se doit d'agir en conséquence. De fait, l'idéal demeure le même qu'avec l'information en général. Une population bien informée de l'actualité d'ici et d'ailleurs, au sein d'une démocratie vivante et participative, serait normalement en mesure de prendre des décisions socio-politico-économiques bénéfiques pour tous. À voir ceux qui nous gouvernent au fédéral comme au provincial, il serait de bon ton de s'interroger sur la véracité de cette affirmation - ou sur l'efficacité de nos médias -, mais il s'agit là d'un débat pour un autre jour.

La culture, donc. Ouf. Suis-je devenu plus critique des oeuvres avec le temps? Certainement: la multiplication des passages dans les salles de spectacle permet d'accumuler une certaine expérience, un bagage de connaissances, si l'on veut, dans lequel il est alors aisé de puiser pour y tirer des références et des comparaisons. Me fais-je un malin plaisir de disséquer certaines oeuvres dans le détail pour y trouver des incongruités? Tout à fait. S'il eût été possible que j'apprécie grandement The Expendables 3 il y a encore une dizaine d'années, par exemple, ma «maturité» culturelle plus approfondie m'a plutôt poussé à vertement critiquer ce navet incommensurable. Cela n'a malgré tout pas empêché le studio et les acteurs d'empocher des millions. On a l'influence qu'on peut, après tout.

Et puis, il faut bien se l'avouer: une critique parlant d'une oeuvre comme étant parfaite, c'est un peu ennuyant. À moins que le journaliste n'emprunte des chemins détournés pour parvenir à ses fins, l'à-plat-ventrisme culturel est aussi déplorable que les critiques mesquines, celles qui démolissent pour le plaisir de casser de l'artiste, sans considération pour son cheminement. Mais là aussi, le piège guette... Que faire devant une oeuvre qui ne nous rejoint absolument pas? Que pourrais-je écrire si je devais assister à un spectacle de rap, de danse contemporaine underground, ou encore à une pièce de théâtre tchèque présentée dans sa langue originale, sans traduction?

La plupart du temps, je m'abstiens d'abord de demander des billets pour de tels événements, histoire d'éviter de me couvrir de ridicule - ou de recevoir un appel injurieux de la part d'un relationniste. Dans le cas où j'assiste à quelque chose qui me dépasse, le processus de réflexion est le suivant:

1) Est-ce moi qui est déconnecté de cette branche particulière de la culture?
2) Est-ce un autre spectacle / une autre oeuvre qui se retrouve victime du syndrome d'enfermement critique, où les artistes, entourés de proches et d'amis, ne constatent pas que leur produit culturel laisse à désirer?
3) Est-ce simplement mauvais?

Bon, la simplification est un peu aberrante, ici, mais l'essentiel est là: parfois, pour éviter de se prendre une volée de bois vert, mieux vaut plaider l'ignorance et s'abstenir de commenter une oeuvre. Après tout, il est tout à fait possible que le bagage de connaissances culturelles soit, dans ce cas précis, insuffisant pour saisir, peut-être, la portée ou l'ampleur de l'oeuvre, ou encore sa signification profonde.

En fait, que l'oeuvre soit bonne, qu'elle soit mauvaise, ou qu'elle soit simplement passable, l'important est d'expliquer le processus de raisonnement ayant mené à cette évaluation. Au diable les notes, les étoiles et tout le tralala, l'avenir appartient aux articles complets, et j'aime bien mieux savoir exactement ce qui passe et ce qui cloche dans une oeuvre que de me voir asséner une critique en 140 caractères. L'abscons vaudrait pratiquement mieux que le trop bref, c'est dire.

Ce faisant, en forçant les journalistes à développer leur pensée, les critiques seront plus mesurées, sans doute moins grandioses; c'est en ayant du temps devant soi que l'on commence, bien plus souvent qu'autrement, à remarquer les anomalies, les petites erreurs, la proverbiale ombre de l'avion sur le plateau de Ben-Hur. L'inverse est aussi possible, et les verdicts pourraient s'en trouver améliorés.

Mon point de vue changerait-il si je payais mes billets, mes livres, mes entrées au cinéma ou encore mes sorties à l'opéra? Peut-être. Peut-être que non. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'il n'y a rien de mal à faire ressortir les défauts d'une oeuvre. Du moment qu'on souligne aussi les bons coups. Là est toute l'essence d'un bon travail de critique culturel.

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